AVRIL 2018 - Mon viatique - Après la pause - L'imaginaire de notre jardin - Autres objets de nos désirs


Mon viatique

Ces dernières années, j'ai élaboré un viatique de métaphysique à usage personnel. Un certain équilibre a été atteint dans ma croyance et il serait spécieux d'aller trop loin. Résumons.

1. Je suis réaliste au sens scolastique, c’est-à-dire que je crois à la réalité extra mentale des Universaux, des Idées, des Formes et des concepts dits premiers. Extra mentale c'est-à-dire émanant d'un intellect non humain  (pour simplifier) et rendant compte de la création du monde matériel. Mon modeste intellect est donc relié à un Intellect suprême qui m'en impose par sa présence au delà de moi, et qui me rassure au point d'installer en moi une forme de quiétude. 

2. Je suis dualiste car je crois que matière et esprit forment un tout sans se confondre, que la matière dérive de l'esprit qui la précède dans la Création et qui demeure son commensal dans l'éternel présent. Je ne parle pas bien sûr ici du Saint Esprit de la Trinité chrétienne mais bien du principe originel,  de l'esprit des spiritualistes, de l'immatière si l'on préfère. Comme corollaire, je crois que le monde matériel, tel que la science le connaît, est, par principe, entré dans le temps, qu'il a eu une origine et qu'il aura une fin mais que l'esprit, lui, perdurera. Au plan logique il ne peut pas en être autrement. Mais la logique n'est peut-être qu'humaine.

3. Je vis sous le double ciel de l'immanence et de la transcendance. Je les vis dans la simultanéité ou l'alternance et non pas dans la contradiction. Je me figure le monde proprement humain comme étant scindé en deux strates où immanence et transcendance jouent chacun leur partie:

- le monde des intelligibles,  formée des Formes, Idées, et concepts premiers auxquels nous accédons individuellement à la suite d'un processus continu d'apprentissage; monde immanent définissant l'orbe croissante dans laquelle s'inscrit notre existence mais nous rattachant aussi au monde absolu des Intelligibles dont j'ai dit plus haut qu'il était source de quiétude.

le monde matériel, complexe, étrange, non appréhendable par l'individu, épouvantable même (le silence des ces espaces infinis etc.), incommensurable en tout cas à l'existence humaine, nous poussant à créer des microcosmes, des niches, des atmosphères et des liens à notre dimension ou à nous en remettre, une fois pour toutes et aveuglément, à la protection de l'Être imaginaire qui pourrait tirer les ficelles, les deux types d'attitude n'étant évidemment pas incompatibles.

Et maintenant, que vais-je faire  ? 

Note à la révision (juin 2023). Ce viatique "spirituel" esquive la question de Dieu et la considère même avec une certaine ironie. Idéaliste au sens platonicien, je m'en tiens aux Idées et aux Formes, accessibles à l'intellect humain, et à un dualisme dans lequel l'esprit précède logiquement la matière. L'ontologie y a peu de place car je me défiais alors de la notion d'être comme de la peste, persuadé qu'elle ne pouvait s'appliquer à la personne. Depuis je me suis laissé convaincre que l'être n'était pas une simple commodité grammaticale mais une forme de préscience, inscrite au cœur du langage humain, de la réalité de l'être au-delà de l'existence matérielle. Un autre correspondance que celle des Idées et des Formes me semble donc pouvoir être postulée entre l'intellect humain et "l'autre monde"; celle avec ce qu'il est convenu d'appeler l'être unique, l'Un, lequel, sans jamais pouvoir être atteint par cet intellect humain, peut faire l'objet d'une recherche désintéressée, au nom du simple don d'existence, et selon un double mode abstractif (via l'induction) et apophatique. 

J'ose donc désormais la mystique, notamment dans sa version rhénane, au risque de me ridiculiser auprès des sceptiques et des rationalistes. Je reste cependant encore agnostique, ne voulant pas me reposer sur une foi définitive et restant toujours indifférent au salut individuel. Ne croyant pas qu'il existe un soi pérenne, je ne peux envisager ni le salut individuel ni une vie personnelle au delà de la mort. Plus encore, il est évident pour moi qu'il existe une totale étanchéité entre Dieu,  quelle que soit sa définition, et la Créature, donc aucune communication possible. En dehors de son exigence intellectuelle notée plus haut, l'attitude mystique vise aussi à atteindre par l'imagination le néant originel, ceci pour alléger l'angoisse de la mort ou, plus sagement encore, pour la transformer en une aspiration à la mort.

Le christianisme primitif ne me rebute pas car j'ai compris que le dogme trinitaire était le constat de la limite de l'intellect humain à formaliser la plénitude de l'être unique. J'envisage la matière théologico-philosophique chrétienne, jusqu'au Moyen-âge tardif, comme un prodigieux et merveilleux effort collectif pour spécifier Dieu dans des langages désespérément humains (hébreu, grec et latin). C'est à ce titre qu'il m'intéresse. Par ailleurs j'assimile spontanément et intégralement l'immatière (ou esprit éternel, ou esprit originel) au Dao (ou Tao), ce qui m'entraîne sur des terreaux spirituels complémentaires tout aussi passionnants.

Après la pause

Cette pause post-hivernale, faite de jardinage intense entrecoupé par la lecture de Jouhandeau et de Cioran, doit maintenant céder la place à une nouvelle phase d’étude philosophique calquée sur la matrice en trois points exposée plus haut. Deux maîtres essentiels évidemment : Platon et Aristote. Mais aussi la synthèse médiévale qui en est faite par Alain de Libera dans ses cours du Collège de France, et, toujours et encore, Bergson. Je crois que la lecture de Bergson, notamment de L’évolution créatrice me permettra d’approfondir ma réflexion sur la dualité (ou l'association) matière-esprit, d’une part et sur le vivant, d’autre part. J'ai d'ailleurs omis d'inclure la question de la vie dans ma profession de foi spiritualiste.

L'imaginaire de notre jardin 

Ce jardin est le théâtre d'un certain imaginaire que je partage avec T., un imaginaire peuplé d'esprits élémentaires qui finissent par échapper à notre vigilance tant ils sont nombreux et désordonnés. J'aimerais y reconnaître les formes fantastiques ou mythologiques évoquées dans une certaine littérature et qui traduisent l'attachement de l'homme à la nature, aux plantes, aux animaux, aux éléments, au temps et à l'espace. Je cherche les signes de rattachement du microcosme au macrocosme. Je m'y perds, c'est inépuisable.

Aujourd’hui, fort de mon ignorance et de ma naïveté, je pourrais personnaliser ce jardin, lui infuser la substance imaginaire dont je suis fait. J'en prends conscience, de manière très incidente, en lisant les commentaires de Marie-Claire Bancquart, sur la Rôtisserie de la Reine Pédauque d'Anatole France (collection de La Pléiade). Mon attention est attirée par les esprits élémentaires que le fol Astarac voit partout : sylphes de l'air, ondines de l'eau, salamandres du feu, gnomes de la terre. À ceux-ci il faudrait ajouter toutes les divinités ou semi-divinités des anciennes mythologies qui se cachent dans les arbres, les forêts, les jardins, celles des Métamorphoses et de l’Âne d'or.

C'est l'esprit de la Renaissance encore attachée à la culture gréco-latine, ce sont les correspondances universelles, c'est l'analogie entre macro et microcosme. Ce sont les délires de l'illuminisme, de l’ésotérisme et de l’hermétisme, telles qu’ils revivront encore dans les fins de siècle ultérieurs, notamment, dans la Rôtisserie, à la fin du XVIIIe. Dans ces ouvrages je voudrais pouvoir puiser le sentiment de ma pleine appartenance au microcosme de notre jardin, et renforcer son lien organique avec le cosmos.

Autres objets de nos désirs

Le désir, au moment où il est ressenti, aspire à un objet qui n’a pas encore de substitut dans notre imaginaire. Passé un certain âge, nous construisons sans relâche ces substituts mentaux aux objets de nos myriades de désirs. La vieillesse, ce n'est pas tant l’asséchement du désir que la recréation du monde dans l’enceinte en expansion de l’âme. Certes, c'est plus facile au milieu d'un beau jardin et dans une belle maison que dans une prison. Mais le prisonnier est doté de ce même pouvoir de création imaginaire. Et l’âme du vieillard devient si riche qu'elle finit par se répandre dans le monde. Le mouvement du désir est alors retourné : le monde vient à lui et non lui au monde. Partant, le monde n'est plus à posséder mais à accueillir.

gilleschristophepaterne@gmail.com
Révisé en juin 2023