JUIN 2018 - L'idée du jour - Le ça de ma pensée - Un en un - Pour l'apprivoiser - Raison et liberté - Flottement du vouloir - Cause physique et condition logique - Gâchis et gaspillages - Avatars, hypostases, jouets

L'idée du jour

La liberté que je me suis octroyée c'est de parcourir à grandes enjambées des champs entiers de la philosophie pour dénicher l'idée du jour. Ces trouvailles philosophiques, une fois rassemblées, finissent par construire un système personnel que j’ai l'impression d'avoir édifié de mes propres mains. Je voulais dégager ici l’idée qu'on peut faire de la philosophie un usage personnel sans être un spécialiste. On n'est pas tenu d'être fidèle aux textes ni de se revendiquer d'une école de pensée. On joue avec les idées pour le plus grand profit de l'esprit.

Le ça de ma pensée

Une intense curiosité me porte vers la métaphysique, mais je ressens l’extrême lourdeur de la démarche intellectuelle que cela suppose. J'aimerais pouvoir m'y frotter en poète, comme l'aile de l'oiseau au contact de l'air. Je me crois en quête d'une vérité qui me collerait à la peau comme si elle m'était destinée de toute éternité alors qu'elle n'est que d'emprunt et le résultat d'un pur mimétisme. La pensée dont je m'imagine l'agent est plutôt un ça dont l'originalité ne réside pas dans des idées formulées avec mes propres mots mais dans l'expression de la vie la plus authentique et la recherche de la plénitude. C'est d'une autre vérité qu'elle est le signe, non pas la réponse à des questions que je me pose, mais le sillage d'une sorte de bateau ivre. L'agent de pensée que je suis exploite le bouillon d'idées dans lequel il a été jeté par hasard et l’être auquel cette pensée se rapporte, et qui survit par elle, est un soi sans durée mais qui, tout de même, suit un cours.

Un en un

Flottement et indécision, telles sont les apparences de mon comportement dans cette phase particulière de ma vie. Certains m'ont fait comprendre que je manquais par là de fiabilité. Ils ont raison, c'est que je redeviens libre, maître de mon vouloir et de mon non-vouloir. Je reprends la main et aucune instance extérieure ne me dictera plus mon comportement. Un en un, tel Dieu, je finirai par ne plus dépendre que de moi. Je comprends que ça puisse déconcerter.

Pour l'apprivoiser 

Je me réfugiais alors dans l'imaginaire par la lecture et mon existence était dédoublée. Efficace et responsable dans mon travail, j'étais à la fois ici et ailleurs, accompagné en permanence par mes amis les écrivains, notamment par les romantiques. La vie authentique était à l'intérieur: étanchéité presque parfaite entre ce que j’étais et ce que je consentais à montrer de moi. Lorsque j’ai quitté le monde du travail, la réalité m'est enfin apparue acceptable et la lecture des philosophes m'a rétabli sur mon assise. Maintenant elle m'aide à mieux apprivoiser la mort. J'ai compris que la philosophie n'est pas uniquement une grammaire de l'intellect et une discipline pour mettre de l'ordre dans la pensée mais aussi une évasion vers l'idéal et vers la transcendance. Ce n'est pas pour rien que j'ose me ranger du côté des "platoniciens". 

Raison et liberté 

La Raison s'entend ici comme principe d'explication suggéré par la réflexion et s'appliquant à toutes les situations auxquelles l'existence peut nous exposer, y compris les plus complexes. La raison ainsi définie est subjective: elle s'autorise à tout comprendre, non pas à connaître stricto sensu, non pas à identifier objectivement des causes, ni même à émettre une opinion relayée par le bon sens, mais à orienter le jugement en vue d'une meilleure conduite dans l'existence, envisagée dans toutes ses implications. Le non est l'outil majeur de la raison car il permet d'éliminer les mauvais arguments. La liberté, notion relative, se mesure à la la capacité de dire non.

Note ajoutée à la révision (juin 2023). A cette époque je ressentais une certaine culpabilité à devoir dire très souvent non et je ne réalisais pas à quel point c'était l'expression de ma liberté recouvrée. La raison, en tant que faculté de bien juger, n'est soumise qu'à la conscience, c'est pourquoi elle est l'outil de notre liberté. Quant à la négation comme méthode d'accès à la lumière, j'en fais désormais un usage étendu puisque je l'applique à la recherche du sentiment de l'Unité primordiale.

Flottement du vouloir

Lorsque j’examine au temps t  le fonctionnement de ma propre volonté, je vois bien que le vouloir (forme mobile) est un acte mental destiné à générer un voulu (forme fixe) en vue d'un acte extérieur (le faire). Dans cette séquence complexe, le jugement (la raison) sert de guide incertain, peu sûr de lui. Au temps t donc, je me mets en demeure de prendre position par rapport à mille questions dont certaines émergent comme de vrais problèmes auxquels j'apporte simultanément quatre réponses : (1) je voudrais, (2) je ne voudrais pas, (3) je voudrais ne pas, (4) je remets la réponse à plus tard. Lorsque l’horizon du faire ne se profile pas de manière impérieuse, mon indécision peut macérer dans son propre jus, jouir d’elle-même. Qu'il est bon en effet de ne pas vouloir, ou plutôt de laisser au vouloir, en tant que processus, tout ce qu'il a de conditionnel !

Cette mobilité et ce flottement du vouloir sont-ils autant de signes de la liberté humaine ? Oui, quand elle ne nuit pas à la conduite de la vie, ce qui est mon cas actuellement. Est-ce une liberté de nature métaphysique, quelque puissance qui m'a été concédée de toute éternité en tant que membre de l’espèce ? Cette idée me plaît assez, mais je ne veux pas me forcer à y croire. La seule chose que je puis affirmer aujourd’hui c'est que le vouloir, en tant que voulu hypothétique, n'est en rien aliéné à la nécessité. Le voulu, - c'est-à-dire le vouloir qui finit par se figer en une forme prête à s’engager dans le faire, - peut être décrit comme le produit combiné du jugement et de l’énergie vitale. Il n'est pas lié lui à une nécessité, à l'effet implacable de causes immédiates. Au contraire, son déterminisme (tout relatif) m’apparaît comme l'effet du futur sur le présent. On s'engage dans le présent en anticipant ce que pourrait être l'avenir mais on n'est pas contraint à le faire, donc on n'est pas contraint à le vouloir vouloir ni à vouloir le vouloir.

Est-ce que Dieu ne nous obligerait pas un peu quand même ? Au moins dans certains cas, dans certains secteurs de notre volonté ? Au niveau individuel, c'est très improbable. Et c'est ici le seul plan qui m’intéresse car s'agissant de toute l’espèce, il est certain que l'homme est moins « nécessité » que l’animal, qu’il a acquis cette liberté de moduler son vouloir et son agir sur les anticipations fluctuantes de l'avenir et pas seulement par réflexe et automatisme. Est-il besoin de l’écrire ? Oui.

Cause physique et condition logique

C'est une déficience courante de l'esprit que de confondre cause et condition. Cette confusion en entraîne une autre: celle entre causalité et logique, entre production d'un événement et inférence d'une proposition. Ainsi, quand on parle de condition nécessaire et suffisante, notion logico-mathématique, on pense à tort cause nécessaire et suffisante. Une cause n'est rien qu’une cause, tandis qu'une condition a deux statuts différents selon les règles de la logique. Ainsi, une proposition p est-elle une condition nécessaire à la proposition q, si q ne peut être vrai qu’à condition que p soit vrai. Mais cette condition peut ne pas suffire à elle seule pour faire que q soit vraie. Une proposition p est une condition suffisante à la vérité de la proposition q si elle suffit à elle seule pour que p soit vrai. Une condition suffisante au point de vue logique est-elle nécessaire ? Non par forcément car il peut exister d'autres conditions suffisantes autres que q. On peut donc définir un troisième statut : celui de condition nécessaire et suffisante, définissant une proposition p sans laquelle q ne peut être vraie et qui suffit à elle seule à valider q. À noter, que dans ce cas, q a aussi pour p le statut de condition nécessaire et suffisante. Parfaite réversibilité qui montre bien que la condition logique n'a rien à voir avec la causalité, laquelle implique une séquence temporelle, complétement étrangère à la logique propositionnelle. C'est comme si l’esprit, fréquemment, spontanément et erronément, assimilait l’inférence logique à un mécanisme physique impliquant une séquence temporelle.

Gâchis et gaspillages

Les gens dits entreprenants, ou d'initiative, capables d’imprimer à tout prix leur marque sur le réel, donnent l'impression d'user d'une grande liberté. C'est à voir. On pourrait juger au contraire qu'ils usent du réel à défaut de pouvoir user d’eux-mêmes. Le soi envisagé comme sujet d'usage prévient selon moi bien des gâchis et bien des gaspillages.

Avatars, hypostases, jouets

Ces dernières années, j'ai nié avec insistance l’unité de l’être dans le temps et noté à quel point m'étaient étrangers ces avatars de moi qui se sont succédé dans le passé. Aujourd'hui je suis convaincu que l'unité de mon existence est purement rétrospective, qu'elle ne résidait pas dans un projet mais dans une fin dont mes diverses hypostases n'eurent pas conscience et qui a quand même pu faire son chemin à travers elles. A présent, ces personnages prennent un nouvel intérêt en tant que jouets d'un dessein qui les dépassait. Au delà de leurs inconséquences, ils ont eu le mérite, qui me les rend plutôt sympathiques, de préserver les possibles. 

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Révisé en juin 2023