Longue section consacrée à l'alcool considéré comme « eau de feu » et qui a engendré de multiples images poétiques, notamment chez les romantiques. L'intense valorisation substantielle de l'alcool est à relier à la convergence qu'il opère entre des expériences objectives intimes (la chaleur au creux de l'estomac) et objectives (l'eau-de-vie qui brûle devant les yeux).
Le brûlot, ancienne coutume consistant à enflammer le marc sur du sucre, tout autant que le punch qui brûle dans son bol, constituent autant d'expériences déclenchant les évocations, les rêveries, les souvenirs. La valeur romantique du punch est attestée dans de nombreuses œuvres poétiques, notamment des poésies fantasmagoriques et des contes (Hoffmann, Le chant d’Antonia ; Gautier, Le bol de punch ; Jean-Paul, Journal intime ; Poë cité par Marie Bonaparte, Edgar Poë).
Partant de la richesse des visions fantasmagoriques (Hoffmann) ou de la vision de la mort symbolisant la fuite du temps (Jean-Paul), suscitées toutes deux par les flammes du punch, Bachelard avance l'idée que l'alcool enflammé n'est pas seulement un excitant pour l'esprit mais une composante profonde des représentations de l'inconscient (complexe d’Hoffmann). Mieux encore, il prétend que la rêverie qui lui est associée tend à la « miniaturisation », à la « profondeur », et à « stabilité », levant ainsi l'« ankylose » de la logique et « préparant l'invention rationnelle » (sic).
Commentaire: cette dernière idée de Bachelard, extrêmement contractée dans la forme demanderait à être explicitée. Je ne la comprends pas malgré le caractère séduisant du paradoxe (la divagation de la raison comme préalable à son pouvoir d'invention). J'ai tenu à la respecter pour la tenir en réserve, au cas où des clés complémentaires viendraient l'éclaircir par la suite. Mais Bachelard reste délibérément obscur dans certains passages: c'est sans doute une marque de fabrique, petite provocation envers le lecteur, ou simple affectation de littérateur qui n'a pas encore compris ses propres intuitions.
Au terme de cette section, Bachelard présente très explicitement le programme qu'il s'assigne désormais: une analyse et une classification des tempéraments poétiques basées sur les affinités avec les quatre éléments que sont le feu, l'eau, la terre et l'air. Cet objectif n'était pas clairement exprimé au début de l'essai et il semble qu'il ait pris corps chemin faisant.
Citation: « Pour forcer le secret d'un vrai poète, d'un poète sincère, d'un poète fidèle à sa langue originelle, sourd aux échos discordants de l'éclectisme sensible qui voudrait jouer de tous les sens, un mot suffit :« Dis-moi quel est ton fantôme ? Est-ce le gnôme, la salamandre, l'ondine ou la sylphide ? »
La complexion particulière du poète détermine chez lui une polarisation de l'imagination qui le porte très préférentiellement vers les images propres à l'un des quatre éléments. Ainsi, si l'on compare, Hoffmann et Poë, deux poètes portés par l'alcool, le premier est sous le signe du feu alors que le second aspire aux eaux dormantes avec une attirance subsidiaire pour la terre morte et une véritable répulsion pour les symboles du feu.