G. BACHELARD - L'AIR ET LES SONGES


GASTON BACHELARD
L'AIR ET LES SONGES
RÉSUMÉ ET COMMENTAIRES PAR GILLES-CHRISTOPHE
CHAPITRE I : LE REVE DE VOL
CHAPITRE II : LA POETIQUE DES AILES
CHAPITRE III : LA CHUTE IMAGINAIRE
CHAPITRE IV : LES TRAVAUX DE ROBERT DESOILLE
CHAPITRE V : NIETZSCHE ET LE PSYCHISME ASCENSIONNEL
CHAPITRE VI : LE CIEL BLEU
CHAPITRE VII : LES CONSTELLATIONS
CHAPITRE VIII : LES NUAGES
CHAPITRE IX : LA NÉBULEUSE
CHAPITRE X : L'ARBRE AÉRIEN
CHAPITRE XI : LE VENT
CHAPITRE XII : LA DÉCLAMATION MUETTE
CONCLUSION I : L'IMAGE LITTERAIRE
CONCLUSION II : PHILOSOPHIE CINÉMATIQUE ET PHILOSOPHIE DYNAMIQUE

CHAPITRE I : LE RÊVE DE VOL

(1)
La psychanalyse assimile le rêve de vol à un désir voluptueux et utilise ce symbole comme un simple concept sans approfondir les nuances et les extensions que l'imagination lui confère. Or le processus imaginatif relatif au rêve de vol est très riche, notamment au plan esthétique (la trajectoire elle-même, mais aussi l'impulsion  venant du rêveur) à celui de la rationalisation du discours (le voyage ailé et ses infinies péripéties).
L'imagination relative au vol n'est pas atomique contrairement à celle relative aux autres éléments: elle est vectorielle. Pourtant, ce n'est pas tant le mouvement (ou forme) que la substance qui détermine cette fonction vectorielle. La dualité qui anime est en effet celle de la légèreté et de la pesanteur.
Les rêves de vol ascensionnel sont très fréquents et font l'objet des rêves nocturnes comme des rêveries diurnes. Les étudier d'un simple point de vue psychanalytique, ou, plus restrictif encore, organique, ne serait pas satisfaisant et l'objectif ici est de les aborder comme une composante psychologique à part entière.
[ Il me semble que c'est la première fois que, dans la suite de ses ouvrages sur l'imagination matérielle (avant: La psychanalyse du feu,  L'eau et les rêves) que Bachelard revendique clairement l'imaginaire comme une composante à part entière de la psychologie. Question: par qui l'imaginaire a t-il été étudié en ce sens?  Et plus particulièrement l'imaginaire relatif à la substance et aux éléments matériels  ? Jung certainement mais qui d'autre encore? ]
(2)
Il est important de distinguer le vol onirique dans son être profond des élaborations rationnelles que la rêverie éveillée du poète engendre dans un deuxième temps à son sujet. Ainsi les ailes (Icare dans l'imaginaire antique), l'aérostat (Nodier) puis l'avion (d'Annunzio), sont des images essentiellement visuelles qui écartent de l'expérience essentielle, celle du rêve nocturne dans lequel la forme est occultée au profit de la substance.
[ Cette hypothèse de l'extinction des images formelles, et aussi du langage, durant le sommeil, ceci au profit de la «substance» me semble très riche mais est-elle vérifiée au plan scientifique ? ]
(3)
Le rêve de vol nocturne authentique, pur de toute interprétation poétique, de rationalisation, est indissociable des notions de légèreté, d'élasticité, de bond. Il est pur aussi de toute intention ou téléologie: il ne sert à rien. Il affranchit le rêveur de la pesanteur. Le mythe d'Antée, lequel a besoin de rebondir sur la terre (sa mère est Gaïa) pour reprendre son envol est déjà une construction poétique, supposant un vol rythmé. Vol rythmé aussi, donc artificiel, que celui procuré par les ailes. Sauf si ces ailes sont aux pieds (Mercure) Car le talon ailé, comme les bottes de sept lieues, procurent un vol respectant la réalité onirique. Souvent le poète surcharge exagérément le rêve originel pour servir son but esthétique, notamment en lui attribuant une finalité (monter plus haut, voir au delà des montagnes.. dans un rêve de Jean-Paul).
(4)
Par comparaison au rêve surchargé de Jean-Paul rapporté plus haut, un rêve de Rilke semble, dans sa simplicité, en accord immédiat avec la nature du vol onirique. Les pentes y sont douces, aucun but ne lui est assigné, les peines du cœur y sont guéries dans une sorte de cure des terrains imaginaires, et la frayeur de la chute, loin d'être oblitérée, est transfigurée en bonheur.
(5)
Si l'homme veut bien dormir, il doit rejoindre dans son sommeil son élément de base et se laisser porter par lui. Si cet élément est l'air, alors le sujet doit s'alléger, c'est-à-dire, dans l'imaginaire littéraire, soit se nourrir de substances subtiles (intuition alimentaire), soit se doter de moyens mécaniques adaptés, comme les ailes. Chez les auteurs, l'imagination matérielle, en particulier celle de la participation alimentaire, est plus ou moins grossière: dans tous les cas elle permet la liaison des images littéraires et des substances.
(6)
[ Section difficile à résumer en raison du foisonnement d'arguments hétérogènes, des redites, et aussi des obscurités d'un texte où Bachelard s'essaie à l'hermétisme poétique.]
La poésie de Shelley est une illustration intéressante du vol onirique. Elle est proprement aérienne. L'air y est considéré comme une substance animée, dynamique et douée d'une activité propre. L'imagination ne repose pas sur les formes ni sur les allégories: elle procéde de l'être de l'air, à la fois ce qui le met en mouvement et ce mouvement lui-même.
Son Prométhée (dans Prométhée délivré) est un être d'aspiration aérienne au sein duquel les forces de redressement et d'ascension ne symbolisent pas tant la revendication sociale qu'elles ne montrent directement les forces psychiques prenant leur part de cosmos. En se détachant de ses chaînes terrestres, Prométhée ne fait pas que s'affranchir des pesanteurs de sa condition: il affronte directement le vertige de la hauteur et de l'ascension. Ce que le poème mime c'est l'opération que les forces psychiques engagent au plan cosmologique. Cette opération est une élévation, un allègement continu vers les hauteurs, vers la région des sommités, une lévitation capable d'accueillir toutes les métaphores de la grandeur humaine.
Continuité chez Shelley entre des images dynamiques de la barque portée par l'eau, symbolisant le bonheur bercé,  et celles du vol onirique. La barque aérienne et son extension l'ile suspendue sont des symboles dynamiques  de douceur, de tranquillité et de volupté.
La lumière accompagne l'ascension aérienne devenant elle-même substance et le monde d'en-bas (terre, montagne, océan) reçoit son idéalisation aérienne, peut-être la vraie réalité. Une sorte de «vue d'en haut» où tout est immense et en mouvement, où nul obstacle ne vient entraver l'ascension et l'élargissement.  C'est le mouvement qui dépose les images dans son sillage.
La débauche imaginative de Shelley a suscité de la part des critiques soit des explications à fondement scientifique (Whitehead et la théorie de l'expansion des gaz), soit psychanalytique (de Reul). Mais pour Bachelard c'est oublier la caractère entièrement  autonome de la rêverie de Shelley.
Celui qui rêve en contemplant le ciel génère des harmonies, donc une musique qui est une création originale. La volonté du poète contemplateur de l'espace infini ne se distingue pas de sa représentation du monde. Le poème n'est pas traduction mais création, activité pancaliste* de la volonté du poète offrande d'un être original, ou témoignage inédit sur la réalité de l'être.
* pancalisme (selon le Lalande): consiste à concevoir le beau comme la norme catégorique d'où dépendent toutes les autres, et le réel comme l'ensemble de ce qui peut être organisé sous la forme esthétique.
L'ascension aérienne réalise dans son mouvement une synthèse vers l'unité car toutes les images dynamiques y sont liées par des correspondances irrésistibles qui se répondent entre elles tout en gardant leur spécificité. Les correspondances shelleyiennes se distinguent donc de celles de Baudelaire qui sont essentiellement matérielles, autrement dit sensualistes et descendant dans la partie cryptique de l'être. On pourrait dire aussi que chez Shelley les substances se subliment au contraire avant de se confondre pour créer une atmosphère. Mais une confusion où chaque mouvement initiateur est évidemment préservé dans sa réalité première. Une dynamique analogue des correspondances, formées dans les régions élevées de l'imaginaire, se retrouvent chez L.C. de Saint-Martin (L'homme du désir), où l'ascension droite, soutenues par les puissances de l'air, s'accompagne d'un allègement continu des qualités physiques et morales.
(7)
Balzac, notamment dans ses récits fantastiques (qu'il range sous la catégorie de romans «philosophiques») décrit l'imagination dynamique, telle que celle qui sous-tend le rêve de vol, comme une force psychique réellement éprouvée, et non pas comme un simple artifice littéraire. Si l'on passe à côté des images qui expriment, notamment, l'ascension psychique, on perd le bénéfice d'une imagination matérielle, où l'esprit se matérialise et où la matière se spiritualise, d'un entre-deux de l'imagination que Bachelard appelle un état mésomorphe de physique imaginaire.
Dans une œuvre comme les Proscrits, inspirée de Dante, cela se traduit par la description de la psychologie de projection, celle de l'élan avant le saut et l'envol, où volonté et représentation se confondent dans un moment de tension.  Également pour l'auréole qui nimbe fort naturellement l'esprit dans sa  résistance à la montée.Métaphores, allégories, paraboles, notamment relatives à la chute et à l'ascension ainsi qu'aux différentes stations qui jalonnent leur parcours, sont certes des images littéraires mais elle se confondent de manière réversible à ce qu'elles décrivent. Ces images premières sont fidèles à la nature même du vol onirique et traduisent une réalité psychique, la marque de l'inconscient.
Dans Séraphîta, Balzac décrit plus complètement la psychologie ascensionnelle, comme pour jouir consciemment d'un don inconscient. La vertu curatrice de cet ouvrage, ainsi que ceux de Swedenborg, qui restituent des forces psychologiques essentiellement positives pour créer une unité dynamique n'a pas échappé à un Strindberg écartelé entre le ciel et l'enfer. On y relève les éléments caractéristiques suivants: (1) le mouvement préside aux formes poétiques, il les dépose dans son sillage (la flèche, puis les skieurs); (2) dialectique de l'abîme et des cimes aboutissant à la domination sur le gouffre; (3) substitution progressive du but,- le ciel, l'espérance -, à l'élan lui-même; (4) assomption-synthèse, assomption symphonique sous le signe de la trilogie du sonore, du diaphane, et du mobile.
(8)
Illustration de la puissance onirique du saut et du bondissement-rebondissement, par la mise en regard du Merlin l'enchanteur d'Edgar Quinet et du Second Faust de Goethe. Dans le premier cas, ce qui frappe le lecteur c'est le génie de l'envolée pure qu'apporte dans le récit la fée Viviane. Dans le second, c'est le recours à la terre pour donner l'impulsion efficace ainsi que le rythme.
(9)
Continuité du désir de grandir et du désir de voler (Keats). Ouranotropisme du vol onirique.
CHAPITRE II : LA POÉTIQUE DES AILES
(1)
Introduction méthodologique de ce chapitre consacré au vol de l'oiseau. Bachelard souligne, dans tout ce qui concerne l'imagination poétique, tant matérielle que dynamique, l'importance de l'image première. Celle-ci est le fruit non d'une conceptualisation, dont l'évidence se construit par approches successives, mais d'une véritable abstraction, un trait de feu, où les images formelles ne sont que parures.
(2)
L'approche poétique des oiseaux par un naturaliste comme Toussenel (Le monde des oiseaux) est maladroite car l'oiseau onirique y figure comme une chose en soi préexistant à la matière et au mouvement. Alors que pour un vrai poète, selon Bachelard, l'oiseau onirique est le fruit de la substance aérienne et du mouvement.
(3)
Dans le même ordre d'idée, pour l'imaginaire et le rêve, la Sylphide ou fantôme de l'air derive-t-elle de l'Oiseau, ou plutôt, comme le pense Bachelard, l'Oiseau de la Sylphide ? La croyance aux esprits élémentaires venant se loger dans le corps des oiseaux pour leur procurer leurs facilités propres, de même, à l'inverse, que celle selon laquelle les oiseaux brûlent d'un feu élémentaire qui puise son carburant dans l'air ambiant pour le purifier, ces croyances ne s'imposent-elles pas comme des réalités psychologiques, plus précisément comme des expressions de l'imagination matérielle de la pureté ?
(4)
Le rapprochement spontané que fait l'imagination entre le vol de l'oiseau et la pureté témoigne d'une certaine confusion spontanée entre les valeurs et les essences. L'imagination animalisante, notamment celle qui s'attache aux mouvements animaux, est très instructive à cet égard.  Par exemple dans la dévalorisation qui s'attache à la chauve-souris et ces animaux mythiques que sont l'hippogriffe, le griffon et le dragon.
(5)
Les ailes comme représentations du vol onirique du vol humain, chez son avatar l'ange par exemple, s'imposent comme une image formelle embarrassante, peu propres à créer l'illusion d'immatérialité (Villette, L'ange dans l'art occidental). Pour corriger cette impropriété, les artistes ont remplacé les ailes classiques, qui sont de pures allégories, par les ailes au talon, par le mouvement natatoire, voire par le simple élancement des formes. Dans cette dernière figure, l'imagination formelle et l'imagination dynamique se croisent, la forme élancée étant un élan formé.
(6)
Dans sa poésie prophétique William Blake mêle intimement le verbe à l'imagination matérielle, en dehors de toute transposition allégorique comme dans la poésie traditionnelle. C'est le cas en particulier pour l'envolée des pensées, assimilée à celle des oiseaux, définissant ainsi une véritable ornitho-psychologie.  Plus généralement, Blake décrit la tension, l'énergie du dépassement par l'homme de son statut rampant pour se redresser, pour quitter la terre.
(7)
L'alouette comme exemple de la suprématie de l'imagination dynamique sur l'imagination des formes. L'alouette est une image littéraire pure, une métaphore qui est à soi seule sa  réalité. Elle peut s'exprimer comme une vérité morale (Michelet), voire «politique» (Toussenel), mais sa description a peu d'intérêt. Elle est le symbole d'une ascension affranchie des lois de la pesanteur, d'emblee victorieuse et lumineuse. Son chant vif et mystérieux, perdu dans la clarté, ne fait qu'un avec le vol. C'est une onde de joie à l'unisson avec la partie vibrante de notre être, une joie «sans corps» (Shelley). L'effet de groupe crée une montée d'harmonie, une unité de chant, expression des enthousiasmes du monde animal et du monde humain confondus (d'Annunzio, Meredith).
CHAPITRE III : LA CHUTE IMAGINAIRE
(1)
La chute hante l'imagination de manière beaucoup plus récurrente que l'ascension. Mais il pourrait s'agir d'une empreinte imposée par le réel, voire d'un héritage génétique datant des temps où l'homme habitait dans les arbres (J. London).
Les images poétiques de chute sont plus rarement dynamiques et substantielles que celles d'ascension. Elles usent souvent de notations extérieures (Milton) qui ne restituent ni l'effet différentiel, qui rend la chute de plus en plus pesante, ni la tonalité morale qui l'accompagne (causalité- culpabilité). C'est le vertige qui est important dans la chute et celui-ci doit être saisi dans le foudroiement d'un instant.
(2)
Le rêve de la volonté s'identifie au rêve de la volonté dans une dialectique qui met en regard la terre d'où il faut se soulever et l'air qui soutient l'envol. C'est l'essence-même de l'imagination dynamique de choisir la hauteur comme direction positive.
(3)
Le gouffre imaginaire est donc ce qu'on est impuissant à remonter (De Quincey). Et l'image du gouffre ne s'impose que comme déduction d'un état intérieur inexorable, que comme résultat de la chute morale, gisant dans la substance souffrante de notre être. Ainsi la puissance créatrice de Poë dans ses contes et récits extraordinaires (exemple dans le Puits et le Pendule) est-elle liée à sa capacité de susciter chez le lecteur la perception d'un gouffre ontologique, caractérisé par une profonde unité, ceci avant même d'en décliner les visions précises. La perception du vertige est exacerbée par l'échec des efforts de remontée et, d'une manière générale, par le jeu ondulatoire du réel et de l'imaginaire, de la vie et de la mort.
Et c'est dans cet état de défaillance que le rêveur, en perdant de son être, devient capable d'accueillir en lui la sensibilité des éléments matériels. Que sa parole devient un fluide et un souffle, un langage capable de mettre en relation des images dynamiques au lieu de pures idées, capable de réinventer la nature sans rien devoir à l'expérience réelle. Cet engrenage naturel des images dans le mouvement imaginaire est illustré par la Descente dans le Maelstrom de Poe.  Le vaisseau emporté dans le tourbillon du Maelstrom est ni plus ni moins le lecteur en situation d'effroi, victime d'une nausée primitive, antérieur à toute suggestion descriptive, à toute analogie avec la réalité.
La rêverie de Poë est souvent une rêverie de lourdeur. Elle alourdit les objets et les éléments eux-mêmes. Les décors intérieurs, par exemple, suggèrent souvent une pesanteur enveloppante où sols et tentures murales créent une atmosphère propre à favoriser l'angoisse et la chute. Mais cette atmosphère pesante s'étend aussi bien aux éléments comme l'eau et l'air. Poë peut utiliser des images poétiques banales mais il parvient si bien à les substantialiser et à les déployer sur l'axe de la verticalité qu'elles deviennent capables de retrouver leur vie primitive et de pénétrer les poitrines.
(4)
Cette vertu qu'à la chute d'entraîner avec elle les images peut se retrouver dans le mouvement inverse d'aspiration par le haut vers la lumière. Hauteur et profondeur vont alors de pair. Mais c'est la dialectique créée par les deux mouvements antagonistes de pesanteur et de lumière, dialectique qui respecte la dualité primordiale de la nature, c'est elle qui commande la vie psychique (Milosz).
(5)
Peut-être que la vérité psychique supérieure, - le destin humain lui-même, réside non pas dans l'alternance de la hauteur et de la profondeur que dans leur simultanéité d'action (uno actu). Dans ce cas, les fonctions oniriques (précipitation/cristallisation versus sublimation), sont plus importantes pour l'imagination dynamique que les objets oniriques qui résultent de ces fonctions (précipité/cristal versus essence).  (Novalis).
CHAPITRE IV : LES TRAVAUX DE ROBERT DESOILLE
(1)
Constat d'une forte résonance forte entre la psychologie ascensionnelle, telle que l'envisage ici Bachelard, et la psychotechnique de rêverie éveillée de Robert Desoille.
Cette méthode vise à réorganiser des «forces oniriques en agitations désordonnées, au profit d'une vie consciente qui sait enfin persévérer dans ses actes et ses sentiments» (sic). Le sujet reconstruit une «ligne d'images», qui est aussi une «ligne de vie», avec ses considérations morales.
(2)
Comparée à la psychanalyse classique, la méthode de la rêverie éveillée ne vise pas seulement au déblocage d'un complexe inconscient: elle propose une mise en marche sur la ligne des images, elle vise à développer un avenir psychique, un avenir d'expansion. Elle fait en effet l'hypothèse d'une unité d'imagination sur laquelle s'applique le principe dynamique et qui seule permettrait la sublimation.
(3)
La rêverie ici est l'auxiliaire qui balaie les soucis, qui guérit sans violence les souvenirs. De manière plus méthodique, elle facilite le repérage et la mise à l'écart des préoccupations négatives qui émergent au sein de la conscience. Cette mise à l'écart est un simple geste, un geste imaginé, non feint, au caractère délibérément moralisateur et sentimental. Plus généralement, toute conduite humaine, tant dans le travail que dans le loisir, est source de rêverie dès lors que le geste est perçu comme une image dynamique s'inscrivant dans une «épopée des rêves».
(4)
La réception passive des images initiales ne relève pas de l'hypnose et le sujet reste de point en point conducteur de son cheminement sur la ligne des images. Ce chemin d'ascension est progressif, régulier, sans abîme ni vertige; son rythme est celui de la marche et de la respiration. Le psychologue suit la progression du sujet et veille à ce qu'il ne soit pas bloqué à certains «carrefours d'images», auquel cas il l'invite à imaginer une rotation sur lui-même afin de retrouver la voie ascensionnelle. En fin de séance, le retour sur terre s'effectue selon une descente en douceur qui doit établir le sujet à un plan supérieur à celui de la séance précédente.
[ Telle que l'évoque Bachelard dans son propre jargon, - et il abonde ici - la méthode Desoille ne mobilise que les couches superficielles de l'inconscient et ne peut prétendre à la comparaison avec la psychanalyse. Sans autres lectures, on l'imagine comme une méthode de méditation (sans hypnose) destinée à alléger le poids de préoccupations ou d'obsessions siégeant aux marges de la conscience. On peut aussi penser que cette méthode peut favoriser l'expansion poétique chez les créateurs, comme le font certaines drogues ]
(5)
L'ascension est colorée, toujours, à moins que ce ne soit la lumière qui soit ascensionnelle. La couleur n'est pas empruntée, elle vient de l'intérieur, elle est volume, elle est substance, elle est partie intégrante de la sensation cenesthésique. Prenant naissance dans l'«âme éclairante», elle efface le pittoresque et anecdotique des objets pour installer dans les hauteurs une physique de la sérénité.
(6)
Il semble que l'ascension imaginaire puisse favoriser la transmission de pensées entre le sujet et le psychologue  [ ou entre deux sujets entraînés  ? Bachelard est peu clair sur ce point ].
(7)
L'imagination généralisée.   [ Fumeux - A reprendre ]
(8)
Si la rêverie éveillée doit induire une forme de sublimation consciente, le travail n'est pas terminé pour autant. Cet état prépare à une psychanalyse classique destinée à fortifier la conscience de la sublimation. Placé dans le calme des hauteurs, le sujet est invité à laisser surgir spontanément ses souvenirs. Et ici attention ! celui qui recueille les images poétiques, qu'il soit psychanalyste ou lecteur de poèmes, ne doit pas comprendre mais imaginer lui aussi. Cette position s'applique à la création poétique. Le grand poète est ainsi capable d'associer le lecteur à l'œuvre littéraire (activité «télé-poétique») grâce à la force de son sur-moi imaginatif.
[Bachelard est dans ces dernières sections très difficile à suivre pour moi, malgré plusieurs lectures. Je ne peux m'empêcher de le juger ici comme un vrai cuistre qui abuse son lecteur].

CHAPITRE V : NIETZSCHE ET LE PSYCHISME ASCENSIONNEL

(1)
La lecture approfondie de Nietzsche a convaincu Bachelard que chez Nietzsche le poète précède souvent le penseur et que chez lui les images portent les idées. Son imagination est profondément dynamique et il est le type même du poète ascensionnel.
(2)
L'air est bien son élément fondamental et, par comparaison, la terre, l'eau et le feu ont un caractère secondaire dans sa poétique.
Pour la terre on trouve souvent des allusions à la vie souterraine, mais celles-ci renvoient à l'action, donc à une imagination plus dynamique que matérielle. Contrairement à Novalis, la vie souterraine ne correspond pas à une quête émerveillée ni à une initiation par les éléments mais à une préparation active et dirigée.
L'eau n'est pas un obstacle pour Nietzsche: les flots et les vagues sont domptées d'un coup de rame et l'océan, soit porté vers le ciel, soit lui même un ciel détenant un grand pouvoir de détente. Il rejoint le cosmos des hauteurs et n'est jamais associé à la mélancolie. Les eaux dormantes sont méprisées. Jamais il n'est donné une adhésion substantielle aux adjectifs de l'eau (aquatique, lâché, laiteux etc...). Toujours c'est l'imagination dynamique qui reprend la main. L'illustration la plus remarquable concerne la critique de la musique de Wagner vue comme une mer liquide dans laquelle on perd pied, au contraire de la vraie musique qui est associée à la vie aérienne, qui est une cadence, un souffle vif et malicieux.
Les images du feu sont fréquentes chez Nietzsche mais le feu Nietzschéen n'est pas substantiel. Souvent c'est un trait de foudre, la  projection d'un colère saine et joyeuse. Rarement un feu intérieur qui couve ou qui traduit une combustion vitale. Il a donc un caractère transitoire, projeté. Il est paradoxalement associé au froid comme s'il renfermait une polarité qui soit source de dynamisme, comme s'il était tension et action, un trait qui monte vers l'air.
(3)
Citation de Bachelard: « La joie terrestre est richesse et pesanteur - la joie aquatique est mollesse et repos - la joie ignée est amour et désir - la joie aérienne est liberté. » La substance de l'air pour Nietzsche est sans qualités substantielles. Elle est dépourvue de ce qui empêcherait l'essor,  le total devenir. Elle est en particulier dépourvue d'odeurs, contrairement à l'air saturé de Baudelaire.  Les odeurs créent un lien continu avec les corps, avec la terre, avec le passé et les souvenirs. L'air pur, au contraire, libère nos impulsions vers la nouveauté. L'air nietzschéen est tonique par sa fraîcheur, voire sa froideur et sa proximité avec les cimes. Il y gagne ses vertus offensives. Il est également silence, contrairement au ciel shelleyen si musical. Ces trois racines: froid, silence, hauteur sont des qualités indissociables dans l'imagination aérienne de Nietzsche de même que, par contraste, la douceur, la musique et la lumière définissent la substance de l'air Shelleyen.
(4)
Un premier exemple de l'onirisme ailé Nietzsche. Dans un rêve matinal, « il se trouve sur un promontoire, au delà du monde, tenant une balance dans les mains, et pesant le monde » (Zarathoustra, Trois maux). Loin d'être une simple métaphore morale, cette image est, à l'inverse, génératrice de valeurs morales. Elle ne les illustre pas autant qu'elle les suscite et les prépare. Plus encore, cette image suppose que le peseur est un être qui s'est affranchi de la pesanteur, un être aérien et ascensionnel. Cette image du vol se retrouve dans de nombreux passages de l'œuvre de Nietzsche et traduit la transmutation des valeurs terrestres en valeurs aériennes.
(5)
La « psychanalyse de la pesanteur » chez Nietzsche est analogue avec la psychanalyse dirigée de R. Desoille, ainsi que l'illustre ce poème en particulier:
Jette dans l'abîme ce que tu as de plus lourd !
Homme oublie ! Homme oublie !
Divin est l'art d'oublier !
Si tu veux t'élever,
Si tu veux être chez toi dans les hauteurs
Jette à la mer ce que tu as de plus lourd !
Voici la mer, jette-toi à la mer,
Divin est l'art d'oublier.
La métaphore est ici radicale: elle s'impose comme une image primitive par la franche antithèse haut/bas et dans la rupture nette et décisive qu'elle prescrit à l'interlocuteur nommément désigné par toi (libération uno actu). Tellement absolue dans son expression qu'elle en deviendrait absurde si elle était envisagée comme simple métaphore. Elle est en vérité réalité. Le dédoublement de la personnalité verticale permettra au sujet, à la suite d'un accès de volonté immédiat et quasi-héroïque, d'adopter son statut d'être de l'air, et de conquérir ainsi la quiétude définitive.
(6)
Perfidie maritime, lourdeur du retour sur soi, de la tentation d'aimer, du besoin de consolation, ... vite dépassé pour retrouver le chant aérien (fin du 3ème livre de Zarathoustra).
(7)
La proximité des abîmes, le cheminement difficile sur un sentier abrupt et raviné font par contraste mieux ressentir la conquête verticale. Chez Nietzsche une image récurrente est celle du pin dressé au bord du gouffre, qui trouve sa force dans la projection-même. Il est volonté, il est même volonté-puissance et non pas volonté-substance (Schopenhauer). Fruit de l'imagination dynamique, il tonalise le ciel et héroïse l'être.
(8)
La mer est le milieu d'où l'on s'élève. Soit pour être un pêcheur des cimes, soit pour partir en barque dans le ciel. Et dans ce dernier cas, la rêverie bercée n'est en rien passive et abandonnée: elle frémit sur ses flancs de tous les signes d'abandon et de conquête et met le cap sur la hauteur.
(9)
Parmi les images nettement dynamiques de l'ascension aérienne chez Nietzsche figurent l'oiseau, d'une part et le soleil levant, d'autre part:
L'oiseau de proie se riant dans les airs du pendu oublié sur terre et s'accrochant dans sa chevelure. Son vol plané, plus élevé que celui des autres oiseaux, vol au caractère impétueux et offensif, vol qui griffe le ciel, vol ravisseur qui rappelle celui des anges révoltés.
Le soleil de l'aurore qui en s'élevant déclenche inéluctablement l'impulsion de l'être de volonté, de l'être matinal de la décision irrévocable, et non de celui delà contemplation. Cet être-là est celui de l'éternel retour de la force, de la volonté comme projet.
(10)
Mais cet faculté de s'élever toujours, qu'est celle du surhomme, ne va pas sans la perception simultanée du sommet et de l'abîme. Dans l'imagination dynamique aérienne, cette polarité est source à la fois de discontinuité et de dynamisation. L'un ne va pas sans l'autre: ils sont même confondus.  Appliqué aux valeurs morales, l'être Nietzschéen est ainsi capable de faire le départ entre les bonnes valeurs, qu'il sublimera, et les fausses, qu'il précipitera dans  le vide.
(11)
Bien saisir l'unité de l'imagination ascensionnelle chez Nietzsche en la comparant à celle de Shelley. Shelley: aspiration douce, fuite vers les hauteurs, désir des hauteurs, puis joie du bercement. Nietzsche: volonté délibérée de conquérir les sommets, projection instantanée et surhumaine, mépris de la fuite et de l'immobilisme. Plus original: rupture avec l'ivresse et la chaleur, le froid étant toujours l'allié des hauteurs. [ce qui est d'ailleurs conforme à la réalité]
(12)
Conclusion du chapitre: rappel que chez Nietzsche les images précédent les valeurs, notion d'un manichéisme de l'imagination, dialectique permanente de la hauteur et de la profondeur, la finalité étant d'emporter vers les hauteurs les vraies profondeurs.

CHAPITRE VI : LE CIEL BLEU

(1)
Le bleu du ciel est banalisé dans la poésie au point que Musset l'appelait la "couleur bête". L'imaginaire poétique se rapportant au bleu du ciel est rarement aérien mais souvent en rapport avec les autres éléments: le feu par ceux qui vivent le ciel comme une «flamme immense», l'eau par ceux qui voient dans le ciel un «liquide fluent», la terre par ceux qui le contemplent comme «une voûte peinte».
La difficulté pour le poète est de trouver des métaphores dont la matérialisation ne ruine pas par son excès la réalité onirique. La vraie marque aérienne du bleu du ciel, de l'azur, résiderait plutôt dans une dynamique de dématérialisation, dans un univers aussi peu différencié que possible, dont la substance est minimale.
(2)
La dématérialisation peut se décrire suivant une échelle comportant plusieurs degrés.  A un premier niveau, l'azur, à le contempler, peut nous apparaître comme invasif, agressif même dans son besoin d'annexer de son bleu tout ce qui pourrait déborder sur son domaine (Mallarmé, L'Azur). A un second niveau, le rêveur est l'agent de l'absolu bleuté, c'est lui qui déplore l'intrusion de l'élément étranger, comme la branche ou l'oiseau (Zola, La Faute de l'Abbé Mouret). Au niveau troisième, la dématérialisation est presque accomplie: le rêveur se sent capable de transcender ce qu'il voit, de faire abstraction des formes et des idées, de la chaleur et de la richesse; il sent que le ciel bleu n'est plus qu'un sentiment (Coleridge, Le Somnanbule Sublime). Enfin, degré supérieur, la dématérialisation est complète et le sentiment du rêveur contemplant le ciel bleu tel un miroir sans tain n'est rien autre que celui de la pureté, perçue comme une donnée immédiate de la conscience, indépendamment de toute substance, de forme, visible ou invisible (Eluard, Donner à voir).
(3)
La contemplation du ciel bleu enclenche une méditation profonde qui nous fait prendre conscience qu'il y a un état de l'âme, que l'on peut appeler voyance, qui précède la représentation de la réalité et de ses objets. Les états de l'âme qui se succèdent au cours de la rêverie supérieure sur le ciel bleu sont au nombre de trois: (1) la rêverie proprement dite ou «émerveillement»; (2) la contemplation, histoire que l'imagination se raconte à elle-même, enrichie par la mémoire et tissée de souvenirs; (3) la représentation elle-même, connaissance discursive, qui fait appel à la mémoire des formes. En général, les théories sur la connaissance font l'impasse sur l'homme rêveur.
[ Bachelard ne fait qu'esquisser ici une théorie de l'imagination (ou de la rêverie), sans chercher à entrer dans les détails ni élaborer ses idées. Dommage. ]
L'état supérieur de cette rêverie (le ciel comme miroir sans tain) abolit néanmoins la distinction des phases distinguées ci-dessus, de même que celle entre sujet et objet. La représentation n'a plus lieu d'être. Le sujet pénètre la profondeur du ciel au delà de toute forme représentable, à ce point qu'il devient capable de franchir un seuil supplémentaire dans l'abolition des distinctions intellectuelles: celui où matière et esprit finissent par se confondre. Par la rêverie aérienne sur le ciel bleu, l'être du sujet s'efface, comme s'abolissent les phénomènes et les accidents propres à l'objet ciel, et il descend à un état pensant minimum, synonyme de transparence et de lucidité.
(4)
Une imagination dynamique, substantielle, élémentaire, associée à une rêverie volontaire voire fougueuse, permet de voir le ciel comme le substrat d'une métamorphose quotidienne et derrière le bleu de voir le noir et surtout de ressentir avec acuité le point d'inflexion où la transmutation s'effectue. Aurore, altérité du diaphane et de l'obscur, torpeur et éveil. (Claudel).
Un autre type d'imagination dynamique use des valeurs de contraste, couleurs et souvenirs, pour tonaliser le ciel bleu en tant qu'état d'âme, état d'âme présent, état d'âme ancien. C'est ainsi le blanc des nuages qui, dans un paysage d'automne, fait ressortir le bleu d'un ciel qui est celui de l'été passé (Hofmannstahl, Écrits en prose).
(5)
Le ciel vu comme fond d'un ensemble dont il est inséparable. Il met en relief la terre, amplifie les effets de l'eau (et réciproquement), met en mouvement leurs échanges, etc ... (Gestalttheorie).
(6)
Le ciel comme éther, page blanche sur laquelle tout peut s'inscrire, milieu vital protecteur, synthèse de l'air et de la lumière à laquelle n'est nullement nécessaire d'attacher une quelconque valeur transcendante.
(7)
Le ciel bleu comme mirage. Ce bleu que voit le rêveur banal, ce rêveur qui est chacun d'entre nous, ce bleu est et n'est pas. Il est le réel et l'imaginé à la fois. On a beau savoir que la couleur bleue est un phénomène chromatique parfaitement explicable et objectif, on se retrouve nu face à cette image intègre et absolue (Goethe).

CHAPITRE VII : LES CONSTELLATIONS

(1)
Les constellations sont emblématiques du pouvoir de l'imagination projetante. Les restreindre à une construction mnémotechnique serait oublier que le ciel étoilé nous a été donné pour rêver et non pour connaître. Le point de vue adopté ici sera délibérément anti-livresque, afin de retrouver le chemin des rêves perdus, bien avant la science, bien avant les mots eux-mêmes. A ce point où le sujet qui rêve est doté d'un pouvoir constellant autonome (Schopenhauer).
(2)
On peut tenter une contre-psychanalyse de l'imagination projetante en examinant comment certains écrivains ont entravé la coulée de la veine onirique en mettant en avant leur connaissance, aussi élémentaire soit-elle, de la carte du ciel, de la nomenclature des étoiles et de leurs assemblages. Ainsi de George Sand dans André, qui, en intellectualisant les étoiles, en les nommant en cuistre, ruine l'essor poétique. Au contraire, dans Lélia, elle avait su conférer la qualité d'image pure à l'évocation de la plongée commune dans la mer des quatre étoiles d'une constellation.  Il semble que l'insistance à nommer fige les images et les empêche d'acquérir le dynamisme ralenti que nécessite la matière nocturne.
(3)
Ce dynamisme des constellations est en effet très particulier. C'est un voyage immobile, ralenti à l'extrême, qui a la gravité des gestes rituels et ne peut être ressenti que dans une adhésion intégrale au mouvement des astres. C'est ce qu'a parfaitement exprimé Maurice de Guérin dans son poème en prose La Bacchante dans lequel cette figure revit le mythe de Callisto, mortelle transportée par Jupiter au sein des constellations. Nulle mythologie scolaire n'altère cette pure poésie: c'est un nocturne mouvant, une célébration de la lenteur, plus hymne qu'image.
(4)
Contre-exemple à La Bacchante: La Nef d'Elémir Bourges, avec sa surcharge de références et son mouvement effréné, manque à susciter la rêverie du lecteur.
(5)
Enfin, les étoiles suscitent notre regard autant qu'elles nous regardent. Cette réciproque instaure une forme d'intimité entre nous et elles, ou certaines d'entre elles, malgré la distance infinie (Milosz).

CHAPITRE VIII : LES NUAGES

(1)
Les nuages se prêtent à une rêverie facile, une rêverie souvent dépourvue de gravité. Avec eux, le rêveur s'imagine aisément pétrisseur, adepte des jeux zoomorphiques, et prophète ou thaumaturge, prévoyant le devenir des formes ou les créant d'un seul de ses regards. C'est ici que l'imagination s'allie à la volonté [ ou au caprice ? ].
Leur matière particulière les rattache au textile cotonneux et à sa manufacture, d'où les nombreuses images se rattachant au toucher et au dynamisme de la main (Supervielle), au tissage, à la fileuse, à la navette et à ce qui dans le ciel peut en tenir lieu: la lune, les oiseaux etc... (D'Annunzio).
(2)
L'imagination qui s'attache aux nuages est capable de les saisir dans tous ces attributs qui les opposent à l'immobilité de l'être: mobilité, plasticité, continuité, homogénéité. Plus: non contents de bouger et de se déformer, les nuages peuvent mobiliser les objets ancrés dans la matière (Eluard). Ils sont l'emblème du dynamisme psychique en jeu dans la poésie contemporaine, poésie qu'on ne peut bien comprendre qu'en se déprenant des formes pures pour mieux se laisser entraîner par le mouvement (Supervielle), par l'envolement (comtesse de Noailles).
(3)
Le rêveur participe à la vie des nuages. Ils partagent la même humeur, que le nuage soit bas, lourd, étouffant, menaçant ou, au contraire haut dans le ciel, léger, vivifiant, rassurant. Dans le cas du nuage léger, l'âme rêveuse est capable de recevoir à la fois l'image matérielle d'une effusion et l'image dynamique d'une ascension, disposition psychologique pouvant mener à cette sublimation absolue qu'est la dissolution au zénith dans le ciel bleu.
(4)
La connaissance scientifique des nuages et leur typologie objective ne ruine pas la pénétration du rêveur et n'entrave pas sa participation à la vie des nuages (Goethe, dialogue de Stratus, Cumulus, Cirrus et Nimbus).  Au contraire, il semble que l'imagination, dans sa double dimension matérielle et dynamique, y puise des ressources nouvelles pour pénétrer le pluralisme de la substance et mieux ressentir les valeurs émotives attachées à chaque catégorie de nuages.
Esthétiquement, l'éloquence des formes et des couleurs données aux nuages dans certaines représentations picturales peut induire chez le spectateur une contemplation de nature cosmique qui transcende la condition humaine (Baudelaire, Curiosités esthétiques).
(5)
Comment les nuages symboliques que sont les tapis et les manteaux magiques échouent à nous faire vivre le voyage onirique lorsqu'ils sont utilisés comme simple procédés du merveilleux (E. Quinet, Merlin l'Enchanteur) ou qu'ils sont trop intellectualisés (Goethe, Second Faust).
(6)
Hypothèse de la mythologie gréco-latine comme météorologie primitive.
[ Section très elliptique annoncée d'emblée comme hors sujet et qui, en effet, est bien difficile à saisir en l'état (Michel Bréal, Légende de Hercule et Cacus). ]

CHAPITRE IX : LA NÉBULEUSE

Le rêve de la nébuleuse, de la voie lactée, répond à la fonction cosmogonique de la rêverie: faire des mondes, inventer des mondes. La voie lactée est imaginée dans son pouvoir de déformation et de diffusion, comme une coulée plasmatique de matières célestes (Lafcadio Hearn, Le Roman de la Voie Lactée). Souvent son influence est vécue comme douce, berçante, presque rassurante (Gustave Kahn, Le Cirque Solaire). Chez Jules Laforgue l'inspiration poétique est dominée par le sens cosmique et l'imagination des matières, ceci derrière un ton désenchanté voire écoeuré. Pour Bachelard, la poésie des nébuleuses s'entend mieux dans le silence et la lenteur (Milosz) que dans la surcharge des notations (Elémir Bourges).
Cette rêverie peut se prêter à une poésie parfaite. C'est une illustration de ce que Bachelard appelle l'imagination généralisée par laquelle le rêveur manie la pâte céleste autant que le ciel travaille le rêveur (Hofmannstahl, Écrits en prose).
CHAPITRE X : L'ARBRE AÉRIEN
(1)
Le monde végétal est profondément sympathique à la vie imaginaire et la rêverie végétale est la plus lente, la plus reposée, la plus reposante qui soit. Il faut cependant souligner sa trop grande dépendance aux images purement visuelles, l'adhésion facile à la description ou à la représentation de type pictural. Autre frein à l'essor de la rêverie: la tendance à donner trop vite un nom aux plantes, nom de toute façon largement arbitraire. Dans une étude de l'imagination poétique, ce qu'il faut essayer d'atteindre ce sont les images fondamentales touchant l'être, le devenir et les puissances. Dans cet essai, seules le images aériennes sont abordées.
[ la racine fait l'objet d'un chapitre dans un autre ouvrage de Bachelard : La terre et les Rêveries du Repos ]
(2)
L'arbre n'est pas seulement ancré dans le sol: il participe à la stabilisation de l'univers aérien. Il contient à lui seul le spectre des quatre imaginaires matériels: le feu par la combustion de son bois, l'eau par la sève, la terre par la vie souterraine des racines, et l'air, thème de cette section. Le bois pourrait être tenu comme une matière élémentaire à lui seul. Mais plutôt dans le cadre d'une psychologie du travail, donc de l'homo faber.
(3)
L'arbre érigé ne tient pas son unité d'être de sa forme à proprement parler, ni de son tronc isolé, mais de ce que nous percevons de sa sourde vie dynamique, de sa conquête permanente sur le monde. Ce dynamisme vertical est à la base de la dialectique arbre/herbe.
(4)
Induction d'une force imaginaire chez le rêveur adossé à l'arbre (Rilke, Fragments en prose). Sensation de douceur et de lenteur, participation à cette force universelle qui consiste à être debout, état enchanteur mais pas de jouissance. A rapprocher du végétalisme de Maurice de Guérin qui imagine un vieillard sur des hauteurs progressivement absorbé par l'étreinte d'un chêne, et de D.H. Lawrence dans ses suggestions récurrentes à la métamorphose en arbre.
(5)
La grande puissance du rêve perché qui allie l'imagination des sommets à celle du mouvement balancé, du bercement. Exemple fantastique du cabinet de verdure au sommet d'un pommier chez Jean-Paul (Titan); de la poésie respiratoire et dynamique de Chateaubriand décrivant les oscillations rythmiques des grands cèdres dans un parc; d'un rêve d'enfance arboricole récurrent de Jack London balancé au dessus de l'abîme dans un nid refuge et danger à la fois; d'un conte de Strindberg (Swanevit) dans lequel le père de l'héroïne s'impose à elle comme un chêne puissant et protecteur qui la porte dans ses branches comme il le ferait d'un oiseau; enfin de la vision par Maurice de Guérin de la vie végétale comme un éternel bercement des cimes, auquel le contemplateur peut s'assimiler, comme une maternité bercée.
(6)
Les multiples images offertes par l'arbre pour une psychologie de la vie verticale, avec laquelle le rêveur sympathise spontanément et entre en correspondance: la solitude, la rondeur et le frémissement, la force et le mouvement nourricier, la tourmente et le gémissement.
(7)
Il faut se garder d'assimiler ces images à des formes d'animisme. L'âme reste bien celle du rêveur et les images, notamment celles qui se rattachent à l'arbre sont à la fois particulières et peu nombreuses. Et l'arbre n'est pas qu'arbre, il est essence de l'arbre [ ce qui n'a en effet rien à voir avec son âme ], il est l'arbre immatériel et son devenir comme non-arbre. Ainsi de l'arbre de la fumée produite par les fanes de pomme de terre qu'on brûle à l'automne dans les champs. L'arbre de la fumée est destin et il finit par emplir le ciel (Valéry, La Jeune Parque).
(8)
Longue section sur la filiation entre les rêveries naturelles et les mythes de l'arbre cosmologique dans différentes cultures (chaldéenne, védique, scandinave). Derrière les multiples formes et variantes du mythe, les symboles nous restent familiers car ils «croissent sur le terrain même des rêves» et nous parlent des fins et non des moyens. Par ailleurs, ils ne sont pas emprisonnés dans des images «visuelles» mais  empruntent les voies du langage et se manifestent à l'imagination parlante.
[ idée très importante à qui, comme moi, prétend être le siège d'une recherche de vision régénérée et régénérante du cosmos. Il suffirait de libérer l'imagination de l'influence paralysante de la science sans pour autant ré-endosser les superstitions primitives. Par ailleurs, il faut faire confiance au langage lui-même comme guide et comme conducteur (au sens électromagnétique du terme), comme référence première et actuelle à la fois, comme référence première et dernière, et non pas à l'érudition et aux emprunts culturels délibérés qui ont tendance à briser l'unité du mouvement d'émancipation ]
(9)
L'amplification de l'imagination de l'arbre, ou végétalisme, va jusqu'à inverser le sens de la création. C'est l'arbre qui produit les saisons,  c'est au feu sacré du chêne que le soleil soit sa nourriture et sa régénération quotidienne (mythe aryen rapporté par D.H. Lawrence), c'est l'apparition ou la disparition des fleurs et des fruits qui rythment le calendrier des jours. Cette rêverie cosmogonique ne peut être remise en cause par la science et la rationalité tant elle s'impose par son unité et par l'évidence de son «grand rythme tranquille».

CHAPITRE XI : LE VENT

(1)
L'extrême du vent, la tempête, est perçue par l'imagination comme l'image même de la colère gratuite, sans cause voire sans forme, mue par sa seule force. Une image de la volonté pure. Dans les cosmogonies imaginaires de W. Blake, le vent est une puissance créatrice, un donateur de puissance, qui « crée les  étoiles, confère aux soleil et à la lune leurs destinations et ensemence toutes choses ».
Dans les vents en furie,  la force qui crée les monstres hideux et discordants de l'air c'est un cri, et le cri est la première réalité cosmogonique. Réalité tellement présente à l'imagination qu'il s'y attache de l'anxiété et des interdits en rapport avec les sifflements humains chez les peuples primitifs.
L'âme du rêveur, fût-il le plus doux et le plus paisible, est elle-même irritée par la colère du ciel, dans sa fibre la plus intime, et en dehors de toute raison objective (Maurice de Guérin). Si l'on pousse ce sentiment à l'extrême, c'est l'homme lui-même qui dans son ressentiment se venge sur le ciel en y provoquant des tempêtes, en devenant le maître tant des orages que du grand silence qui leur fait suite (E. Poe, Silence).
(2)
L'inépuisable variété des nuances psychologiques du vent (d'Annunzio) et leur expression quasi-simultanée, nous convainquent que le vent naît d'un songe de la terre, et que les souffles contraires qui s'agitent en lui sont autant d'âmes mortes ou en voie de naître exprimant chacune leur volonté de vivre ou de se souvenir (Saint-Pol Roux).
(3)
La tempête comme thème de la chasse infernale de nombreuses légendes qui sont autant de contes naturels (Pays de Galles). Des créatures naissent dans les nuées, qu'elles soient amies, comme les chevaux du vent (légende arabe), ou hostiles comme les géants affrontant les dieux olympiens (G. Hauptmann) ou comme les furies (ou Erynnies) totalisant à elles seules la vengeance du poursuivi et le remords du poursuivant.
(4)
Le vent comme force vivifiante, en liaison avec les fonctions organiques humaines (Shelley, Ode au Vent d'Ouest). L'inspiration au sens propre, dans son caractère général mais aussi dans ses caractères spécifiques (exemple de la rafale). Le vent comme force originaire, - les quatre points cardinaux et la dialectique du chaud et du froid, du sec et de l'humide -,  mais sans orientaion sans but. Eloge de la poésie respirée (Verhaeren).
(5)
Le front comme sens premier du vent, sens aveugle qui confère au promeneur l'attitude appropriée (altière ou rayonnante, etc..). Mais le vent lui-même présente son front au monde (Verhaeren).
(6)
Les rapports du vent et du souffle et leur importance dans la physiologie aérienne de la pensée indienne. La respiration y a une signification cosmique de mise en relation de l'être intime avec toutes les forces de l'univers. On pourrait faire une synthèse entre cette psychologie respiratoire et la psychologie ascensionnelle de Desoille décrite plus haut: respirer non seulement de l'air mais aussi de la lumière et de la hauteur. Voire respirer l'or astral des alchimistes.

CHAPITRE XII : LA DÉCLAMATION MUETTE

(1)
On parle de souffle poétique mais, au delà de la métaphore, toute poésie relève vraiment d'une économie du souffle, que ce soit dans la douceur ou dans la violence, dans la déclamation ou dans le chuchotements. Le souffle est une nécessité instrumentale de la poésie.
(2)
Selon Nodier, chaque mot mime son origine comme il reproduit un geste. Ainsi le mot âme exprime-t-il l'expiration complète, le dernier soupir, l'âme individuelle révélant sa véritable destinée qui est de rejoindre l'âme universelle.
Si l'on considère maintenant le mot vie, il représente au contraire l'inspiration et les deux associés âme-vie reproduisent la respiration comme fonction universelle. Au delà de la phonétique mimologique de Nodier, il n'est nul besoin, dans le monde de l'imaginaire, de bouger les lèvres pour vivre ce mouvement aérien. Il s'anime dans le silence. Le silence respire.
(3)
Dans un poème, la scansion, qui est nombre, et le souffle, qui est volume, sont complémentaires. Mais la matière poétique ne se traite pas seulement par la phonétique. Il s'agit d'une vérité d'haleine qui réside dans un pouvoir particulier du lecteur et qui a rapport à sa volonté de parler (Valéry). Par la bouche secrète de notre esprit (Claudel), par cette parole vocale et non sonore, nous réalisons la synthèse particulière de la volonté et de l'imaginaire.
(4)
Détachée autant de l'ouïe que de la vision, détachée radicalement des sens mais faisant des mots le prolongement du corps, la poésie est le produit de la volonté esthétique humaine: elle est faite de bonheurs projetés. De même que le bonheur s'édifie sur une vacance de l'être et sur la mise au repos des fonctions du réel, de même la beauté d'un poème se fonde sur la suspension de toute vocalité sonore pour laisser libre cours à une déclamation muette derrière laquelle se profile la volonté, celle du poète comme celle du lecteur de poésie, de chanter le devenir.

CONCLUSION I : L'IMAGE LITTERAIRE

Le compositeur de musique n'a pas besoin de faire interpréter ses œuvres pour les entendre pleinement. Lorsqu'il remplit la portée, il a «une main et dix oreilles». De même, le poète entend ce qu'il écrit quand il l'écrit.
Il n'exécute pas quelque chose qui pré-existerait à l'acte d'écrire. L'image littéraire n'est pas le succédané d'une autre activité: créée dans l'immobilité et le silence, elle fait émerger un nouveau sens, riche d'un nouvel onirisme. L'image littéraire renferme la puissance novatrice du langage. C'est par elle que la langue évolue, c'est-à-dire en suivant les grandes lois de l'imaginaire et non pas au rythme des modifications sémantiques.
La poésie qui s'écrit crée sa propre mesure du temps, et surtout sa propre épaisseur temporelle, riche, complexe, polyphonique, et également polylogique puisqu'elle fait jouer simultanément les mots, les symboles et les pensées. Elle chante au service d'une âme abstraite, la Natura audiens, qui prend le pas sur la Natura audita.
L'image littéraire se moule à la réalité psychique dans toutes ses dimensions, en se gardant de jouer avec les mots et en en évitant le didactisme sans relief.
La lecture à pas lents de poésie est une géologie du silence par laquelle les accords cachés entre les pensées et les rêves se dégagent des sédiments expressifs, des richesses de la matière et de la déchirure des cris, pour s'élever dans l'air et se sublimer (Rilke). Contrairement à la lecture intellectualiste, la seconde lecture est ici encore plus lente que la première. C'est en effet le temps où l'âme du lecteur reflue vers les profondeurs de l'être.
Illustration de la polysémie de l'image littéraire par une phrase de l'introduction du conte de Poë: l'Homme des foules.
«Tout était noir, mais éclatant - comme cet ébène à laquelle on a comparé le style de Tertullien »
On y notera le triplet de la nuit, de l'ébène et du style et les échanges matériels imaginaires entre les trois mots. Ainsi le langage, loin de scléroser l'expérience intime, l'amplifie, l'exagère, la devance permettant ainsi à l'imagination de préparer le terrain pour la pensée.

CONCLUSION II : PHILOSOPHIE CINÉMATIQUE

ET PHILOSOPHIE DYNAMIQUE

(1)
Le propos de cette section est de prolonger certaines vues du bergsonisme sur le changement et la mobilité comme principe moteur. Bergson avait à juste titre fait le départ entre la description du mouvement par la mécanique classique, qui ne fait que le géométriser pour décrire des effets, et la réalité du mouvement dont on devrait rendre compte en se replaçant dans sa cause et sa puissance de devenir.
En soulignant le rôle de l'intuition comme mode de connaissance métaphysique, Bergson n'a pas été au bout de sa démarche. Il reste prisonnier des images qu'il a créées autour de ce concept d'intuition. Elles restent dans son oeuvre des métaphores destinées à suppléer aux insuffisances du langage conceptuel mais leur portée matérielle et dynamique n'a pas été pleinement réalisée. Or les images doivent pouvoir se mouler étroitement à la vie psychique qui a elle-même la continuité de la durée.
(2)
Un exemple de l'insuffisance des images bergsoniennes pour rendre compte de la mobilité du présent vécu: la poussée et l'aspiration. Ces deux images dynamiques, qui se fondent sur des expériences de physique des solides, jouent sur une dialectique facile des contraires, comme celle de l'arc, qui pousse, et de la flèche qui pénètre. Ce qui conviendrait mieux c'est une image qui intègre la poussée, - celle du passé filtré et hiérarchisé -, et l'aspiration, - qui est dessein et volonté - , dans une totalité vécue. Et par l'expérience du vol onirique (voir plus haut),  l'imagination aérienne fournit une telle image.
(3)
Puisque l'être en mouvement est à la fois mû et mouvant, la méditation sur le mouvement rejoint l'imaginaire de l'allègement,  plus exactement de la transformation de la matière de notre être permettant cet allègement. La méditation sur la matière imaginée de notre être peut s'effectuer dans deux directions: celle de l'enrichissement ou celle de la liberté. L'une va vers la terre, l'autre vers l'air. Dans ce cogito dynamique, nous pensons en pesant la matière (Nietzsche) et nous attribuons des valeurs à ce qui relève de l'un (l'enrichissement, la terre) ou de l'autre (la liberté, l'allégement, l'air).
(4)
L'imagination travaille toujours dans le sens d'une valorisation, notamment dans l'ordre de la beauté. Respecter le dynamisme psychique suppose de respecter cette notion de valorisation et d'éviter les images empruntées à la représentation visuelle  ou géométrique qui ne seraient affectées d'aucune valeur.
Si l'on veut rendre compte, par exemple, de l'élan vital entravé dans sa progression, l'image du jet d'eau qui retombe de son propre poids, n'éveille en nous aucune participation. Par contre la distillation minérale telle que la décrivent les alchimistes est fidèle au double mouvement simultané (uno acto) d'ascension/descension qui est à la mesure du vécu. Tandis que les impuretés ajoutées à la matière à purifier ramènent les éléments indésirables, de vocation terrestre, vers le bas, les substances pures, de vocation aérienne, montent vers le haut. Le dynamisme de la vie est double et imaginer ce mouvement requiert comme ici l'imagination de la matière.
(5)
La même image alchimique, avec son extension dans le phénomène de sublimation, peut s'associer intimement à la métaphysique de la liberté. Libérer et purifier sont en parfaite correspondance et constituent deux expressions d'une même valeur. La libération est un conflit permanent entre ce qui entrave et ce qui allège, la résultante entre deux devenirs divergents. Par comparaison, l'image commune de la croisée des chemins ne peut guère s'identifier qu'à un destin linéaire où il conviendrait de choisir son destin à un moment donné.
[ Il faut reconnaître cependant que la vie réelle s'apparente plus souvent à l'image de la croisée des chemins ! C'est en ce sens que la vie réelle, notamment la vie active, la vie professionnelle, est tout sauf  un exercice de liberté ! ]
(6)
Essai de synthèse [ tiré par les cheveux et peu convaincant à mon avis ] entre les deux parties de la conclusion: le problème de la libération d'un côté et celui des images littéraires de l'autre. On peut considérer l'image littéraire selon deux perspectives dynamiquement liées et s'induisant mutuellement: l'expansion et l'intimité.
FIN DU RÉSUMÉ
GILLES-CHRISTOPHE, 2015