MARS 2018 - Compagne des jours - Discontinuité du passé - Rien - La Bible et la Recherche - La vie du langage - Je suis le garant - Face à l'abomination - La vacuité enfin


Compagne des jours

La mémoire, compagne de tous les instants. J'en use le plus naturellement avec elle. Ce n'est pas une instance mystérieuse à interroger aux rares heures où tout se tait autour de moi. Elle est tissée dans la trame des jours, indissociable de la conscience. C’est pourquoi je crois que l’autobiographie peut se fondre dans le journal intime. Même rythme, même rendu, même respiration. Sans séparer le passé du présent, je transcris ici mon soliloque qui n’est en vérité qu’un dialogue avec les livres. Les choses très personnelles s'y rattachent malgré moi. Elles trouvent dans ce journal un dernier asile.

Discontinuité du passé

Signification des expressions de Temps retrouvé ou de Recherche du temps perdu. Plus que d'une quête mémorielle il s'agit d'une tentative de reconstruction de la continuité du temps humain. La transcendance finale permet de conférer a posteriori une unité à ce qui apparaissait d'abord comme un chaos: enchevêtrement d'êtres disparates, avatars étranges du soi, lieux et temps sans rapport les uns avec les autres.

Quand, à un certain âge, on se  retourne sur son passé, on a du mal à s'y retrouver. Les souvenirs abondent mais on est paralysé par la perception d'une discontinuité. Sans tenter de restaurer artificiellement le fil virtuel qui unit les points où ma vie s'est densifiée, sans rechercher une forme de transcendance qui illuminerait, d'un coup et rétrospectivement, tout mon parcours, il me semble que je saurai reconnaître les moments du passé où j'ai simplement tendu la main à celui que je suis devenu.

Rien

Il serait approprié de n'être rien avant de n'être plus rien. Approprié de déconstruire avant qu'il ne soit trop tard. De s'installer en pleine conscience, de son vivant et pendant un certain temps, dans le vestibule du néant.

La Bible et la Recherche

Relire la Recherche avant de mourir fait partie bien entendu des devoirs de l'honnête homme ! La Bible et La RechercheJ'y songe sérieusement, mais alors en orientant ma lecture vers des thèmes qui m'interpellent depuis un certain temps. J'en tente la liste:

- ‎voies de dépassement du désespoir et de la désillusion dans les attitudes esthétiques ou contemplatives.

- voies de transcendance du réel (de l'existence ?) qui n'auraient pas un fondement purement esthétique.

- ‎Transfiguration/spiritualisation du monde physique et matériel : géographie, paysages, monuments, éléments matériels (terre, air, eau, feu), plantes, animaux.

- ‎Idéalisation de et dans l'amour, Confusion amour/amitié.

- ‎Respect de son prochain, de l’homme et de la femme, identification à son prochain, à commencer par le plus humble.

- ‎Philosophie de l'existence, c'est-à-dire ensemble des préceptes que l'auteur forge à sa propre intention et qui aurait valeur d'universalité. Le Montaigne en Proust.

Pour la Bible, c'est à quelques nuances près, les mêmes centres d'intérêt.

La vie du langage 

En vieillissant, j'ai peur de perdre les nuances et la variété dans ma façon d'écrire, je crains un épuisement des ressources, parallèle à celui des sens. Cela se traduit dans le conflit entre le général et le particulier. La philo, par sa tendance à l'abstraction donc au général, appauvrit le langage; la botanique descriptive et la critique littéraire, qui visent au détail, l'enrichissent au contraire.

Rendre compte de la vie par l'écriture supposerait une forme bourgeonnante et glissante, une forme portée et déportée, un lexique à rebondissements et à renvois, où le mot et l'image remplacent l'idée. Exactement comme dans une flore où chaque unité taxonomique est insérée dans un réseau dont les multiples entités sont liées entre elles à la fois par un chemin logique et par une structure théorique ne visant pas moins qu'à restituer l'intention du Créateur.

Je suis le garant

D'une part, le détachement et la désidentification. D'autre part, le souci de l'autre et l'amour du prochain. Est-ce incompatible ? Quelle est la part de moi encore capable d'aimer, si je ne tiens plus à moi ? L'amour pour toi ne serait-il pas l'ultime recès de l'amour de moi, quand tout le reste s'est retiré ? 

D'une part, l'abandon du moi pour aller à la rencontre de l'Esprit. D'autre part, la tension vers Autrui. Il ne s'agit pas de trouver un compromis mais bien d'accéder au terme supérieur où ces deux mouvements sont confondus, et dont je suis le garant.

Conflit élémentaire d'une âme bien vivante à quoi se réduisent tous les autres conflits. Simplification radicale à laquelle j'aspire dans le silence de l'aube.

Face à l'abomination

Pour mettre un terme à mes subtilités éthiques :

- Jusqu'à quel point es-tu capable, toi privilégié qui baigne dans le confort bourgeois, de résister aux tortures, morales ou physiques, sans y perdre ta dignité ?

- Je n'en sais rien. Et n'en sachant rien, je ferais mieux de me taire. Et de construire en silence cette résistance, physique et psychologique, contre l’impensable auquel je pourrais être exposé un jour.

Face aux abominations dont est capable l'homme pour détruire ou dégrader son semblable, il n'y a qu'un vrai remède: apprendre à mourir, à mourir de son plein gré. Et, le moment venu, se donner la mort, l'offrir et se l'offrir. L'absolu réside dans le Mal, plus que dans le Bien, le Beau et le Vrai, notions qui ne nous préoccupent que quand nous sommes préservés du pire.

La vacuité enfin

Ces quatre dernières années j'ai essayé de rassembler de moi ce qui méritait de l'être. J'ai finalement compris que je n'avais nul besoin d'être à moi-même ma propre justification, que je n'étais le dépositaire d'aucun passé ni le moteur d'aucun projet. C'est désormais sur la vacuité que je nourris le sentiment de l'existence. Je ne me raccrocherai à aucune branche, mon souci prioritaire étant que l'image intérieure soit aussi fidèle que possible à la réalité.

gilleschristophepaterne@gmail.com
Révisé en juin 2023