BILAN SAISON 1 - PROJECTION VERS UNE SAISON 2

 

BILAN (2013-18)

SUITE POSSIBLE (2021)

L'option de la philosophie

L'option de la littérature


BILAN (2013-18)

Écrit durant une période de près de cinq ans (2013-2018), ce journal recueille les réflexions d’un amateur (au double sens du terme) sous l'influence de ses lectures philosophiques et littéraires. L'objectif de départ, qui revient de manière récurrente jusque dans les derniers billets, était de renouveler ma perception du monde élémentaire (temps, espace, formes, substances), de retrouver une certaine naïveté dans la sensation immédiate que j’ai de mon environnement, de la nature particulièrement. Voulant me libérer du carcan d’une vision purement objective du monde, j’ai été ainsi entraîné de fil en aiguille, et de manière spontanée, vers les grandes questions de philosophie première, autrement dit de métaphysique. Cela m'a conduit largement au-delà de l'objectif initial, notamment vers les questions relatives à l'ontologie et à l'identité personnelle. Au total, ce travail d'écriture, malgré son désordre et sa fragmentation, traduit assez fidèlement les inflexions de la vie intérieure au contact des livres pendant cette assez longue période.

Au cours de cet itinéraire sinueux, plein de rebondissements et de retours en arrière, je n'ai pas perdu le fil de mon chemin philosophique. Dans les derniers billets je m'étais attardé sur quelques notions de philosophie existentialiste qui s'imposaient à moi par ce qu'elles recélaient d'indicible à dire un jour. Des notions chargées d'un sens à découvrir. Comme si une pré-conscience m'enjoignait de les approfondir pour donner plus de sens encore à ma vie. Je crois pouvoir les expliciter, ces notions obsessionnelles. Leur jeu concerté en moi contribue à définir ce que je pourrais être et surtout ce que je ne peux pas être. Voici :

D'abord la conversion, attente ouverte et permanente, état de réceptivité aux signes, d'où qu'ils viennent, qui invitent aux révolutions de l'esprit face au monde, non pas simplement selon un progrès cumulatif, graduel, attendu, confortable, mais avec des révélations, des éblouissements, des sauts. L'esprit appelle des changements qui le renouvellent du tout au tout. C'est la condition de sa survie. Je reste influencé par la modalité religieuse de la conversion mais je crains que celle-ci n'aboutisse paradoxalement à un renoncement à l'attente, à  une assurance sur l'avenir, à une forme de paresse spirituelle, voire à un sacrifice de l'espérance pour des intérêts purement terrestres. Je préfèrerais parler ici d'une conversion philosophique acceptant sans réserve l'idée de transcendance, d'un saut régénérateur dans un progrès sans fin qui impliquera toujours d'autres sauts à venir.

Ensuite, la conscience phénoménale, conscience du monde extérieur, physique ou humain, dans ses rapports aux sensations et à la mémoire. Pour moi, la conscience phénoménale, loin d'être ineffable (comme le décrètent généralement les philosophes) est au contraire un appel au verbe, un appel irrésistible qui finit par trouver son langage, notamment dans la poésie. Corollairement, l'accent mis sur la conscience phénoménale à ce stade de mon parcours traduit aussi le souci, très personnel, de ne pas dissocier le concept (produit de l'entendement) du percept (produit de la sensation du monde extérieur, au sens élargi). De les mettre toujours en accord dans la pensée de veille. Jusqu'ici en effet je me suis trop complu dans le maniement des formes abstraites de la pensée.

Enfin l'identité personnelle, notion assez obsédante comme le témoigne le blog. Si, comme je suis enclin à le croire, le soi n'équivaut pas à un être unique qui serait soi et rien que soi, mais qu'au contraire le soi est éclaté en autant d'êtres qu'il y a d'états de conscience face au monde, alors est-il toujours aussi important de se préoccuper de son salut, de frapper à la porte de l'instance supérieure pour quémander un statut définitif à emporter au-delà de cette vie ? Et pourtant: comment se soustraire à l'appel irrésistible de la transcendance ? Lequel de nos multiples êtres ressent-il cet appel ? Question essentielle autant que dramatique car l'unité incontestable de la personne que je représente face au monde (corps, caractère, déterminisme social) cache une foncière indétermination. Le renoncement définitif à l'identité personnelle ne permettrait-il pas de libérer toutes les puissances intérieures, tous les explorateurs intimes qui me livrent le monde de manière extensive, et qui me livrent à lui ? Ou bien alors faut-il postuler un noyau d'où tout jaillirait: le plus intérieur, le plus mystérieux, le plus déstabilisant de mes mois ou alors la concession en moi de l'être ? 

Ces deux conceptions ne sont peut-être pas antagonistes et mériteraient toutes deux d'être approfondies: d'un côté l'être multiple, libre, ubiquitaire, imprévisible, aux aguets, plein de ressources et souvent d'inconséquence, capable de se déployer dans le monde, de percevoir l'altérité et les différences et de s'y ouvrir; de l'autre l'être unique rassemblé autour du dépôt qui lui a été confié de toute éternité.

Toutes ces questions je les pose. Je me les pose et j'interroge les auteurs, nombreux et divers, qui se les sont posées, qui se les sont posées pour eux, pour nous, pour moi. 

SUITE POSSIBLE (2021)

Section sur l'évolution possible. Reflétant mes hésitations pendant plusieurs mois, elle montre dans un premier temps ma volonté de conférer au blog une teneur plus philosophique, notamment en l'articulant autour de quatre thèmes prioritaires et en systématisant les résumés détaillés des ouvrages étudiés. Puis, dans un deuxième temps, de compléter la philosophie abstraite par la poésie au sens large, c'est-à-dire cette littérature qui ose la transgression métaphysique, tout en restant fidèle aux quatre thèmes idéels qui structurent ma vie intérieure dans cette phase de mon existence (et peut-être à jamais).

1. L'OPTION  DE LA PHILOSOPHIE: LES QUATRE THEMES

Aller naïvement à la recherche des idées de la philosophie, me les approprier par l'écriture a donc constitué de 2014 à 2018 une transition utile de mon existence (entre 62 et 66 ans), et m'a permis de restaurer la sagesse que, comme beaucoup d'entre nous, j'avais laissé malmener durant la phase dite "active" de ma vie. Une sagesse inquiète, sans rapport avec cette "sérénité" vantée jusqu'à l'écœurement par les gourous patentés, mais visant quand même à une forme d'espérance. J'ai ressenti le besoin d'en laisser les traces écrites qui font l'objet de la première saison de ce blog.

Cette conscience en progrès au service de l'existence amplifiée, cette conscience vigie des deux mondes, constitue l'unité de ce blog, toutes saisons confondues. En voici les lignes de force: 

1. Expansion de la notion de réalité (nature, humanité).

2. Liaison concept-percept (pas d'idées ni de mots nus et abstraits, et, inversement, pas de sensations sans attache quelque part dans l'esprit).

3. Inutilité de la culture du soi pour soi et réhabilitation de la notion de personne, comme témoin et acteur.

5. Intelligibilité du discours pour celui ou celle qui me lit, qui m'écoute, qui veut partager: autrui est la mesure de tout, même si la nature de cet autrui reste encore à définir.

Ma lecture studieuse ne s'est pas arrêtée en 2018. J'ai cherché, sans succès jusqu'ici, à renouveler ma manière d'en rendre compte par l'écriture. Ma méthode de lecteur me semble pourtant mieux structurée qu'auparavant et j'ai l'impression de retenir plus naturellement les acquis. Ce qui m'invite à passer d'une écriture délibérément fragmentaire à une forme plus thématique fondée sur les acquis de la première saison. Conformément à l'esprit général de ma démarche, résumée plus haut, j'ai en effet identifié quatre thèmes d'intérêt qui me semblent couvrir la plupart de mes interrogations et qui devraient m'occuper pendant cette deuxième saison :

1. Les philosophies de la nature et les cosmologies familières.

2. La conscience phénoménologique et le répertoire personnel des percepts.

3. La personne, l'autre, le différent.

4. Les divers modes d'existence philosophique (synthèse des 3 thèmes précédents).

La recherche que j'entreprends au fil des lectures de cette deuxième saison pourrait s'intituler: la perception du monde extérieur comme mode d'existence philosophique. C'est la quête d'un modèle idéal que je pourrais porter jusqu'à la fin.

Le thème 3 peut, à première vue, paraître exogène par rapport aux trois premiers. Dans la première saison, ce thème dérivait de mes questionnements sur la notion du soi et de l'identité personnelle. J'avais provisoirement conclu que le soi n'a pas de réalité assez tangible et que c'est bien la personne qui s'impose, non le soi; la personne et en particulier autrui. Chaque personne individuellement (individual en anglais) est le véhicule de conceptions particulières sur le monde; chaque personne individuellement est désirante et croyante, donc portée vers un ailleurs que son propre soi. Chaque personne construit un univers à son image ou plus exactement au départ d'elle-même. J'avais été frappé, dans la première saison, par ce qu'en disent William James et Emmanuel Mounier dans leurs œuvres respectives. Il serait intéressant de voir comment ce personnalisme se relie aux trois autres thèmes.

Chacun de ces thèmes interpelle l'individu que je suis dans ses choix existentiels et dans sa mémoire. Aucun ne lui est, au sens propre, indifférent. L'écriture devrait donc pouvoir se présenter comme une navette entre les idées générales et l'application que j'en fais à ma propre existence, l'objectif étant d'élaborer une doctrine personnelle à porter jusqu'à la fin. J'ai l'impression (aujourd'hui) que ces thèmes forment un tout, qu'il ne manque rien pour que la vie soit prise, en totalité, dans les mailles de leur filet. Que son sens ultime, intégral, peut ainsi être mis à portée de conscience. C'est le thème 4 qui assure la synthèse donc la conclusion. J'étais tenté d'ailleurs de l'appeler: "Existence - mort - philosophique". C'est le dernier message à emporter.

Dans la liste d'auteurs et d'ouvrages à lire il faudra privilégier ceux - que j'ai déjà pratiqués dans la phase antérieure (Bachelard, Bergson, Hadot, de Libera, Poulet, Richard, James, Collingwood). J'approfondirai leur étude avec ma nouvelle grille de lecture et ses quatre thèmes en tête. Des excursions devront évidemment entreprises vers d'autres sources, notamment antiques (Présocratiques, Platon, Aristote, stoïciens, épicuriens, néoplatoniciens).

Ce blog resterait le témoignage d'une expérience naïve de la pensée, d'un cheminement de la vie intérieure au contact des livres. L'étude active permettrait de resserrer les objectifs, de fixer l'attention et les acquis, de traduire le résultat en idées, en mots. L'habitude de l'étude méthodique, l'ascèse qu'elle implique, est excellente en soi, même si dans certaines phases elle déçoit car elle manque de retentissement sur les conceptions personnelles et n'a pas d'effet sur les résurrections de la mémoire. Quelle que soit mon aptitude à remplir mes objectifs, je ne perds pas de vue que la priorité reste donnée au plaisir de lire et de comprendre la pensée des auteurs.

2. L'OPTION DE LA LITTÉRATURE

Dans ce qui précède, j'ai formulé le cahier des charges de l'intellect, celui de l'éternel étudiant en moi. La chose importante dans ce programme un peu rigide c'est sa structure thématique, les quatre thèmes étant parfaitement en concordance avec mon existence actuelle. Tellement en concordance qu'au lieu de remplir trop consciencieusement des cases thématiques avec des livres, il serait plus avisé de rattacher mon sentiment de l'existence aux lectures du moment, en gardant en tête cette structure thématique. Cela atténuerait la tension propre à l'étude elle-même, objet extérieur, pour mieux libérer la spontanéité du projet personnel.

De même, le recours exclusif à des résumés d'ouvrages théoriques et critiques peut s'avérer impropre à stimuler la vie intérieure du lecteur. Cette méthode lourde, indispensable à l'étudiant et au chercheur professionnel, pourrait ne pas convenir à un homme vieillissant qui n'a plus beaucoup de temps devant lui et qui se dirige avec une certaine urgence vers la dernière interlocution.

Un bon court-circuit à la philosophie, - pour aller plus vite en somme ou pour en s'en évader de temps à autre, - c'est la littérature et la poésie, considérées alors comme la transposition des grandes idées qui hantent la conscience et l'imagination, comme le monde extérieur recueilli au cœur du langage. Il ne s'agirait plus pour moi de remonter la chaine des énoncés, de déceler les forces et les fragilités d'un certain argumentaire philosophique, mais d'entrer en sympathie avec les créateurs, de ressentir la force de proposition de leurs images, d'emprunter les voies de leurs analogies, de les accompagner vers l'Idée. 

Cette seconde option pourrait passer par la lecture d'essais de critique littéraire (voir dans la liste d'ouvrages ceux de Bachelard, Poulet, et Richard). La lecture devrait ici  chercher à ressentir la transgression métaphysique par laquelle les écrivains s'arrachent à la fois au prosaïsme de l'existence et à la tyrannie de la matière et de la vérité scientifique. Par ailleurs la structure du blog en quatre thèmes "existentiels" resterait à l'ordre du jour, même si je m'y rattache de manière souple et non dogmatique.

Une autre lecture intéressante consisterait à identifier et analyser les signes cette structure quadri-thématique (Cosmologie intime, Percepts, Autrui, Existence philosophique) dans :

- dans de grandes œuvres poétiques: Guérin, Rimbaud, Whitmann, Pessoa, romantiques anglais et germaniques;

- dans des romans, tels que la Recherche de Proust, L'Homme sans qualités de Musil, La Montagne magique de Mann, le Quatuor d'Alexandrie de Durrell.

- chez des ecrivains de prédilection dont toute l'oeuvre m'intéresse sans doute à cause d'une affinité intime : Giono, Gracq, Jouhandeau, en tête.

Une lecture transversale de ces romans, centrée sur les thèmes personnels, aurait en outre l'intérêt de susciter l'écriture intime. Mais il faudra faire des choix.

Gilles-Christophe, 29/09/20, dernière révision 26/08/21